Un douloureux réveil
La planète se réveille au lendemain d’une overdose de consommation : les américains surendettés, sans aucune épargne disponible, ont consommé comme des cigales pendant une dizaine d’années. Les nations laborieuses, l’Allemagne en tête leur ont vendu moultes machines outils, la Chine moultes biens de consommation électronique, la Suisse montres et bijoux de luxe, et de nombreuses nations leur ont acheté des produits financiers titrisés (emprunts immobiliers, cartes de crédit, …), et ont souscrit massivement à leurs emprunts d’état.
Le comas éthylique n’a pas été atteint, mais la gueule de bois est manifeste, et notre réveil est très douloureux, la période de convalescence va être longue.
Le secteur bancaire est sauvé
Les banques sont sauvées, quelques unes feront encore faillite, plutôt aux USA qu’ailleurs, encore en Autriche, …, mais il n’y aura plus de faillite majeure, systémique. Mais pour les banques, la purge n’est pas finie, l’ancien modèle a vécu, et une nouvelle ère, une longue période démarre.
Les ROI ne seront plus au cours des 5/10 prochaines années des taux de 20/30%, nous allons vers des taux inférieurs de moitié ; les banques doivent prendre moins de risque, doivent avoir plus de capitaux pour exercer leur métier de banquier, car elles devront porter le risque et non plus le sortir en le mutualisant.
Leur activité sera moins rentable dans de nombreux métiers :
• Les modalités des prêts aux hedge fonds vont changer, les effets de levier diminuer.
• Les opérations de montages LBO tournent au ralenti.
• La banque privée ne pourra plus aussi facilement convertir la fortune d’un industriel en nouvel argent, car les valorisations des entreprises ont fondu comme neige.
• La banque de détail doit gérer, surtout en 2009, une chute très importante de la demande des crédits à la consommation, des emprunts logement ; certaines banques sont confrontées à des chutes d’activité en banque de détail de 30 à 50% en ce début d’année 2009, conduisant à des recapitalisations de banques « faibles », comme par exemple la Caisse Régionale du Crédit Mutuel de Marseille.
La banque doit aussi gérer son coût du risque en très forte augmentation en 2009, suite aux défaillances des individus et des entreprises, ou des états (Hongrie, pays baltes, …) Depuis le début de l’année de nombreuses sociétés sont tombées en dépôt de bilan (sous une forme juridique ou l’autre, chapitre 11, ….), et ces faillites vont impacter les banques en 2009 et 2010.
La crise économique en 2009 et 2010
Cette crise est le résultat de l’overdose : nous avons trop consommé pendant 20 ans, les usines ont trop produit, les capacités de production sont trop élevées. Nous sommes dans la phase de réduction des capacités de production, par faillite, ou fermeture d’usines dans les groupes mondiaux, ou locaux ; cette phase de réduction de capacités va probablement prendre deux ans, tirera les prix à la baisse, et fera enfler le chômage.
GM est en faillite et va fermer une quarantaine d’usines. Arcelor Mittal a fermé quasiment toutes ses usines en Lorraine, en Belgique, au Luxembourg, pour un chômage technique annoncé de longue durée, sa production ayant chuté de moitié depuis l’année dernière. Fermetures temporaires ou définitives ? Michelin confronté à des chutes de vente de 50 à 70% en première monte aussi bien pour des pneus poids lourds que pour des pneus de Ferrari, licencie et ferme des usines en France. La faillite d’Arcandor en Allemagne en juin (43.000 emplois) va donner lieu à de nombreuses restructurations des magasins Karstadt, de Primondo Quelle,… et peut être faire le bonheur de son concurrent Metro. Ce sont des symboles qui tombent aux USA ou en Europe, qui aurait imaginé il y a deux ans la faillite de General Motors ?
De nombreux sous traitants automobiles au Luxembourg et en Europe ferment leurs usines et leurs entreprises, ne pouvant soutenir une chute d’activité en baisse de 30 à plus de 50%.
Au premier trimestre 2009, la production industrielle luxembourgeoise a chuté en moyenne de 24% par rapport au premier trimestre 2008 :
• La fabrication de caoutchouc a chuté de 62%, la fabrication de produits électriques et électroniques de 33%, l’industrie textile de 32%, la fabrication de produits plastiques de 29%, la sidérurgie de 44%,
• Seules deux branches d’activité sont stables d’une année sur l’autre, le papier carton, ainsi que la fabrication de tabac et boissons.
Le Luxembourg n’est pas épargné, et son secteur industriel est plus touché que son secteur financier ! Le tigre irlandais descend aux enfers, son PIB va chuter de plus de 9% en 2009, Singapour est en forte récession. Notre voisin allemand va connaitre une chute de son PIB en Q2009 de l’ordre de 7%, la France une chute de l’ordre de 3 à 4%. La Suisse est aussi violemment touchée ; de nombreux horlogers réduisent leurs activités, Franck Muller a réduit ses effectifs de plus d’un tiers, on murmure que Rolex rachète les stocks de ses intermédiaires, la moitié des salariés de Swatch seront au chômage technique et en vacances forcées, …la division horlogerie de LVMH (2.000 salariés) a vu ses ventes reculer de 41% au premier trimestre, et a licencié par exemple le tiers des effectifs de sa filiale Zenith. Les maisons de ventes aux enchères , Christie’s, Sotheby’s, licencient dans la planète entière.
L’ampleur de cette crise économique est mondiale, touchant aussi bien les pays pauvres, que les pays riches, aucun pays n’est épargné, aucune catégorie de la population n’est épargnée, le luxe est lui aussi touché, les ventes de Bentley ont chuté de plus de 66% outre manche, cette crise est globale, nous revenons 15/20 ans en arrière, c’est une véritable purge, le cocotier est violemment secoué !
Les impacts de la crise sur les fournisseurs, les créanciers et les actionnaires, la déflation
Les dépôts de bilan touchent de plein fouet les actionnaires qui sont rincés, GM est « nationalisé », le dépôt de bilan d’Arcandor touchera de plein fouet la banque privée Sal Oppenheim, actionnaire à 30% de ce groupe.
Les porteurs des emprunts GM ont perdu de l’ordre de 90% de leurs prêts, soient quelques dizaines de milliards, les banques d’investissement RBS, Bayern LB, Commerzbank sont les principales banques créancières perdantes suite au dépôt de bilan d’Arcandor.
Les effets de second tour des ces dépôts de bilan sont multiples : Publicis doit passer en pertes de l’ordre de 50ME, de budgets de publicité impayés par GM, les propriétaires des magasins Karstadt sont face à la demande du liquidateur d’Arcandor, d’une négociation à la caisse des loyers commerciaux. Les actifs sont liquidés par les acteurs surendettés, à des prix bradés, entrainant une véritable spirale baissière ; Jean Marc Vittori nommant cette période « la vengeance des stocks contre les flux ». Une véritable spirale déflationniste se propage dans l’économie.
Les impacts de la crise sur les salariés
Les taux de chômage explosent dans tous les pays de la planète (plus de 60 millions de nouveaux chômeurs), sachant que le nombre de chômeurs continuera d’augmenter en 2010, même lorsque la croissance molle reviendra. Le taux français est à nouveau supérieur à 9%, et retrouve les pics de 2006. Le taux de chômage en Espagne avoisine déjà en 2009 les 20% de la population active. Même le Luxembourg planifie un taux de chômage de 5/7% à court terme !
Un deuxième facteur très négatif, isolé encore à ce jour, voit le jour : certains groupes renégocient à la baisse les salaires de leurs employés. Le Boston Globe réduit les salaires de 600 employés de 23% (c’est une filiale du New York Times), le fabricant de lampes Osram a réduit le salaire horaire de ses employés de 13%, et licencie une centaine de salariés (sur 800), qui ont refusé cette réduction de salaire. Le salaire des fonctionnaires irlandais est réduit. La Lettonie baisse les retraites de 20%, et les salaires des emplois publics de 10%. Le salaire des banquiers s’est réduit dans certains établissements à leur seule part fixe, le variable étant tombé à zéro. La baisse de revenus entraine une baisse de la consommation, une baisse du chiffre d’affaires,… une baisse des prix, la déflation. Oui il y a et il y aura déflation en 2009 et 2010 (en dehors des variations erratiques du prix du pétrole, entrant dans la composante des indices). Oui le chômage va continuer d’augmenter en 2010 !
Que font nos états ?
Ils soutiennent certaines entreprises leur évitant la faillite, mais ne peuvent toutes les soutenir ; la même semaine l’Allemagne a sauvé Opel, et condamné Arcandor. Mais ils ont sauvé le système financier, et restauré la confiance dans le système financier.
La relance et l’endettement massif des états
Les grands pays ont essayé par tous les moyens de relancer la consommation, et de réduire la chute de l’activité, de réduire les licenciements, en mettant en place des mesures conjoncturelles, en aidant par exemple le chômage partiel, en relançant des grands travaux,…, en versant des primes de quelques centaines d’euros, sur des millions de foyers, en permettant le déblocage anticipé d’épargne fiscale (épargne salariale en entreprise, ..). Les états utilisent un arsenal important pour relancer l’activité, y compris l’activité immobilière.
Le vase communicant a été manifeste, les clients refusant de consommer, les états ont ouvert en grand les vannes de la dépense. Les états cherchent par tous les moyens à casser cette psychose, qui bloque la consommation, et transforme les cigales américaines en fourmis épargnant 5% de leurs revenus depuis le début de l’année 2009.
Par contre il y a une anomalie dans cette crise : comment peut on écrire que la baisse de la production industrielle de 50% est pour moitié celle de la consommation, et pour moitié celle du déstockage, alors que depuis vingt ans nous vivons en flux tendu ; mais est-ce une anomalie, ou n’est-ce pas plutôt une révélation : nous ne travaillons pas en flux tendu, il y avait des stocks partout, dans l’industrie et la distribution.
D’ailleurs certaines firmes de luxe n’ont elles pas encore réalisé un quatrième trimestre 2008, en croissance fictive, en remplissant leurs magasins en propre, de montres et autres produits de luxe, en créant des stocks ?
Le casse tête des déficits des états et de la sortie de crise
La relance a été réalisée grâce à un endettement massif des états, conduisant à des ratios de dette publique par rapport au PIB qui vont rapidement dépasser les 100% ; c’est le cas de l’Irlande qui va passer en 2007 d’un ratio de 25% à plus de 100%demain. La France est à 85%, …, peu de pays de l’Union Européenne respecteront demain les critères de Maastrich. Les déficits explosent, 10% en Espagne, … même la ville de Luxembourg est en déficit à fin avril 2009 !
On voit dès ce printemps 2009, les limites et les impacts de l’endettement massif des états, les taux longs, à dix ans, se tendent, aux alentours de 4%, et les emprunts de certains états commencent à avoir du mal à se placer : la Grèce, l’Irlande, et d’autres pays commencent à inquiéter les prêteurs, qui demandent des écarts de taux avantageux face au risque potentiel de faillite d’un état.
Notre mémoire collective avait oublié la faillite bancaire dans la gestion du risque client ; qui eut crû en la faillite de la banque Glitnir (et de l’ensemble des banques islandaises) ; la nuance aujourd’hui est que notre mémoire collective n’écarte plus la faillite potentielle des états.
La tension sur les taux longs est un point majeur, car ce point peut bloquer la reprise, ou ralentir fortement la croissance : pourquoi acheter un bien immobilier, pourquoi lancer un investissement industriel, si les taux à 10/20 ans sont de l’ordre de 5/8% alors que nous sommes en quasi déflation en 2009 et 2010 ? Quelle est la rentabilité de mon investissement ? Quelle sera ma rentabilité si cette période de déflation dure dix ans comme au Japon ?
Faut il à nouveau financer par des emprunts à court terme des projets de long terme ? Cela semble tout à fait impossible alors que nous avons encore en mémoire la faillite de Dexia qui finançait à court terme plus de 150 milliards de dettes à long terme, alors que cette semaine encore le financement de Lafarge Couverture (Monier) montre le danger de pareils emprunts, souvent conditionnés par des « covenants » bancaires ; le LBO de Monier provoque 350 millions de pertes cette semaine au fonds PAI Partners (groupe BNPParibas). La réponse est clairement négative, cette voie sera écartée.
Le casse tête sera pire demain : L’année 2010 sera pire en termes de recettes des états. Les entreprises ne vont pas alimenter les caisses des états en 2010, les déficits vont exploser demain. A titre d’éclairage sur les grandes masses en jeu, je prends l’exemple de la France.
Le gouvernement français a établi les prévisions suivantes de recettes en 2009 : 127 milliards de TVA, 50 milliards d’impôts sur les revenus, 37 milliards d’impôts sur les sociétés, 15 milliards de taxes pétrolières (TIPP), et 37 milliards d’autres recettes fiscales, soit un total de recettes de 267 milliards d’euros et un déficit de 104 milliards d’euros, les dépenses étant planifiées à 370 milliards d’euros. (loi de finances rectificative du 4 mars 2009).
Déjà en France, sur les quatre premiers mois de l’année 2009, les recettes des impôts sur les sociétés ont chuté de 90%, les recettes de TVA ont fondu d’un cinquième, les recettes de l’ISF devraient fondre en 2009.
Le casse tête des déficits n’est pas à ce jour résolu, aucune solution limpide n’émerge ; la solution sera t elle :
• Une hausse des impôts des particuliers ?
• Une hausse des impôts des entreprises ?
• Une création de pouvoir d’achat ?
• Le retour à une croissance forte ?
• La taxation et la disparition des paradis fiscaux ?
• Une inflation forte ?
• Une croissance faible pendant 10/20 ans ?
Dans une première approche, on observe que les hommes politiques clament leur refus d’augmenter les impôts des particuliers, car nous partons dans de nombreux états d’une situation ou les taux de prélèvement sont déjà très importants ; ce type de mesure réduirait le pouvoir d’achat des citoyens et tuerait dans l’oeuf la reprise balbutiante ; cette solution est pour le moment écartée (voir discours de Luc Frieden, de Nicolas Sarkozy, …). L’Espagne à l’inverse a déjà pris deux timides mesures, en remontant la fiscalité du tabac, et de l’essence qui lui rapporteront seulement 3milliards d’Euros par an.
La hausse du taux d’imposition des entreprises, n’est pas encore le thème à la mode, mais devrait le devenir ; la collecte est facile, et indolore en terme de « politique électorale ». Autant le taux pourra augmenter facilement en 2010, mais le rendement sera faible dans un premier temps, car les bénéfices 2009 seront en très forte chute par rapport aux bénéfices des années antérieures.
La création de pouvoir d’achat est le phénomène géopolitique dont nous venons de bénéficier depuis l’année dernière, en faveur des pays consommateurs de pétrole, et au détriment des pays producteurs de pétrole. On considère que la chute du pétrole de 150$ le baril à 30$ a donné de l’ordre d’un point de croissance de PIB aux USA. Le problème pour nos gouvernants est que cet avantage ne va pas se renouveler dans les mois qui viennent.
Le retour à une croissance forte résoudrait le chômage, le paiement des dettes, résorberait les déficits. Le problème est que nous ne pouvons plus envisager à court terme un retour généralisé, mondial de croissance forte : le plus grand parc automobile d’Aston Martin du Luxembourg, n’est il pas à la Kaupthink Bank, une des « ponzi » banques islandaises.
La taxation ou la disparition des paradis fiscaux serait il le moyen de résoudre les besoins et déficits des grands pays ?
Vu les sommes en jeu, 300 milliards au Luxembourg, de l’ordre de 2 à 3.000 milliards en Suisse, dont seule une partie est constituée de fonds officieux, ce thème n’est qu’un thème médiatique facile, mais qui ne résoudra pas la crise actuelle, d’autant que les plus riches clients de ces états sont très mobiles ; une véritable attaque contre le Luxembourg, la Suisse, conduirait à une évasion massive de probablement 30% de leurs avoirs, constitués en majorité des comptes au dessus de 25ME. (Mon sujet n’est pas de débattre aujourd’hui pour savoir si ces états sont des paradis fiscaux en comparaison avec le statut de Londres).
Le débat est clos aujourd’hui, la Suisse et le Luxembourg, ont fait preuve d’une grande intelligence et ont signé des accords « OCDE » avec la France, … et auront signé une douzaine d’accord avant l’automne, les rangeant dans la catégorie de la liste blanche !
Nous revenons du coup à cette inconnue, sommes nous à l’aube d’une période d’inflation forte, à l’aube d’une longue période de croissance molle, alors qu’au quotidien, mi 2009, nous vivons dans la phase de déflation ?? Aujourd’hui, nous sommes dans la seconde phase de la crise, la déflation, un mouvement brutal de perte de valeurs des actifs, financiers, immobiliers, artistiques, des matières premières (pétrole, métaux, …)… ainsi que de pertes de valeurs de monnaies fragiles, accompagnés par des salaires en baisse pour les salariés.
L’inflation dans deux ans, ou l’hyperinflation seront vraisemblablement les seuls moyens pour annuler les dettes des états emprunteurs (à taux fixes), l’orthodoxie de la BCE sera battue en brèche, les dettes seront annulées, et les épargnants rincés : Demain sera une nouvelle période d’inflation ! Demain durera dix à vingt ans ! Finalement envisager pareille sortie de crise n’est elle pas la meilleure solution ?
Olivier GRANBOULAN